Mauvaises herbes
Dima Abdallah
Dehors, le bruit des tirs s’intensifie. Rassemblés dans la cour de l’école, les élèves attendent en larmes l’arrivée de leurs parents. La jeune narratrice de ce saisissant premier chapitre ne pleure pas, elle se réjouit de retrouver avant l’heure « son géant ». La main accrochée à l’un de ses grands doigts, elle est certaine de traverser sans crainte le chaos.
Ne pas se plaindre, cacher sa peur, se taire, quitter à la hâte un appartement pour un autre tout aussi provisoire, l’enfant née à Beyrouth pendant la guerre civile s’y est tôt habituée.
Son père, dont la voix alterne avec la sienne, sait combien, dans cette ville détruite, son pouvoir n’a rien de démesuré. Même s’il essaie de donner le change avec ses blagues et des paradis de verdure tant bien que mal réinventés à chaque déménagement, cet intellectuel – qui a le tort de n’être d’aucune faction ni d’aucun parti – n’a à offrir que son angoisse, sa lucidité et son silence.
L’année des douze ans de sa fille, la famille s’exile sans lui à Paris. Collégienne brillante, jeune femme en rupture de ban, mère à son tour, elle non plus ne se sentira jamais d’aucun groupe, et continuera de se réfugier auprès des arbres, des fleurs et de ses chères adventices, ces mauvaises herbes qu’elle se garde bien d’arracher.
De sa bataille permanente avec la mémoire d’une enfance en ruine, l’auteure de ce beau premier roman rend un compte précis et bouleversant. Ici, la tendresse dit son nom dans une main que l’on serre ou dans un effluve de jasmin, comme autant de petites victoires quotidiennes sur un corps colonisé par le passé.
Histoires de la nuit
Laurent Mauvignier
Il ne reste presque plus rien à La Bassée : un bourg et quelques hameaux, dont celui qu’occupent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi qu’une voisine, Christine, une artiste
installée ici depuis des années.
On s’active, on se prépare pour l’anniversaire de Marion, dont on va fêter les quarante ans. Mais alors que la fête se profile, des inconnus rôdent autour du hameau...
Huis clos dans un hameau isolé : l’heure de solder les comptes a sonné. L’écrivain Laurent Mauvignier bâtit, avec de longues phrases en tension, un polar social et psychologique envoûtant et impressionnant, tableau de la désaffection rurale et de la fragilité des liens.
Hippie Trail
Séverine Laliberté, Elléa Bird
Peau d'Homme
Hubert, Zanzim
Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût : Giovanni, un riche marchand, jeune et plaisant. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout. Mais c’était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations : une « peau d’homme » ! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d’un jeune homme à la beauté stupéfiante. Dans sa peau d’homme, Bianca s'affranchit des limites imposées aux femmes et découvre l'amour et la sexualité.
La morale de la Renaissance agit alors en miroir de celle de notre siècle et pose plusieurs questions : pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes ? Pourquoi leur plaisir et leur liberté devraient-ils faire l’objet de mépris et de coercition ? Comment enfin la morale peut-elle être l’instrument d’une domination à la fois sévère et inconsciente ?
À travers une fable enlevée et subtile comme une comédie de Billy Wilder, Hubert et Zanzim questionnent avec brio notre rapport au genre et à la sexualité… mais pas que. En mêlant ainsi la religion et le sexe, la morale et l’humour, la noblesse et le franc-parler, Peau d’homme nous invite tant à la libération des mœurs qu’à la quête folle et ardente de l’amour.
Babel Africa
Muriel Bloch, Magali Attiogbé
Étranges créatures
Cristina Sitja Rubio
Comment sensibiliser de tout jeunes lecteurs à des questions importantes du monde actuel sans faire de discours ni développer des explications? Tel est le défi que relève magnifiquement ce livre
pour les enfants grâce à un graphisme et un scénario vivants, simples, efficaces. L'histoire touche à la fois à des problèmes de justice et de respect de l'environnement, en faisant comprendre
que le milieu naturel où nous vivons ne peut être harmonieux qu'en accordant de l'attention à tout ce qui constitue le monde, sans établir de hiérarchie entre la flore, les espèces animales et
l'espèce humaine.
Le point de vue adopté pour raconter les événements est celui d'un groupe d'animaux habitant une forêt, qui sont témoins de la disparition de leurs "maisons", c'est-à-dire des arbres à l'abri
desquels ils logent et qui leur fournissent leur nourriture. Ayant mené leur enquête, ils découvrent que ce sont d'étranges créatures - des hommes, donc - qui ont commis ce vol et débité en
tronçons leur habitat. Dès lors, l'enjeu devient, pour les victimes, non seulement d'obtenir réparation, mais surtout de faire évoluer la situation. Et s'il est possible d'entrevoir une chance de
résolution des conflits, c'est parce que les "adversaires" ont des intérêts communs à défendre, et donc qu'ils ont les uns et les autres tout à gagner à sortir d'une vision du monde centrée sur
eux-mêmes.